Léopold II, et nous ?
Sale temps pour les statues…
Nous voici au temps des déboulonnages, des grands coups de marteau et de massue, des statues et des bustes qui volent en éclat, qui s’écrasent au sol, des maculages à la peinture rouge, rouge comme le sang, le sang des damnés des colonies.
Des actions symboliques contre des symboles.
Léopold II (1835 – 1909), symbole de notre passé colonial, de son cortège de malheurs, de soumissions, d’injustices, de violences multiformes, d’exploitation d’un peuple et de ses richesses.
Lourd passé, toujours pas réglé, comme un sujet éternellement tabou.
Symbole du capitalisme et du productivisme.
Symbole de division entre deux camps, les colons et les autres.
Symbole du racisme de l’Homme blanc à l’égard de l’Homme noir, bien au-delà du Congo et bien au-delà de l’Homme noir.
Je ne vais pas refaire l’Histoire, je n’en ai pas les compétences et puis ce n’est pas ce point que je voudrais atteindre.
Sur la corde de funambule de mes pensées, avancer seul au-dessus des camps pour tenter une réflexion en ayant bien à l’esprit que chacun est lourdement armé pour défendre ses positions.
Si ce 30 juin 2020 le Congo fêtera le 60e anniversaire de son indépendance, avons-nous pour autant stoppé toutes formes d’exploitations de ces peuples, là-bas et ailleurs ?
Non, rien n’a changé.
Le pillage systématique des richesses de ces pays n’a jamais cessé.
Pour extraire les matières premières pour la fabrication de nos smartphones, tablettes, ordinateurs, batteries de voitures que l’on voudrait bientôt toutes électriques…
Pour fabriquer nos vêtements, tous nos objets du quotidien, presque tout ce que nous trouvons dans nos commerces.
« Là-bas », rien n’a vraiment changé, les conditions de travail sont toujours épouvantables, dangereuses, insalubres, mortelles, une main d’œuvre surexploitée et des enfants utilisés comme du bétail.
« Là-bas », loin des yeux, nous exportons nos déchets.
« Là-bas », loin des yeux, nous faisons démanteler nos vieux navires pourris, insalubres dans les conditions que nous connaissons.
Et tant d’autres sombres exemples.
Et quand certains veulent quitter ce « là-bas », on leur dit qu’ils ne sont pas les bienvenus.
Notre colonisation est vaste, sans limite.
Nous le savons, nous le savons tellement, inutile de fuir l’image que nous renvoie notre miroir.
Où est la véritable violence ?
Dans la destruction de ces symboles ou dans nos comportements ?
Ne sommes-nous pas encore toutes et tous des colons ?
La faute au capitalisme !, crions-nous d’une seule voix.
Mais ne sommes-nous pas aussi acteurs et complices du capitalisme ?
Par nos actions, nos comportements, ne sommes-nous pas d’éternels « Léopold II », tous complices ?
Colonie, coloniser… peut-on décoloniser nos esprits ?
Pouvons-nous faire quelque chose ?
Pouvons-changer les choses ?
Sommes-nous impuissants ?
Le voulons-nous vraiment ?
Et puis comme de petites lucioles, à force de travail et de volonté certains arrivent par leur combat et leur engagement à faire bouger les lignes, à faire émerger des symboles de justice, des symboles qui réparent, un peu.
Tout à fait impensable il y a quelques années, la Belgique compte désormais quelques rues et une place au nom de Patrice LUMUMBA, artisan de l’indépendance du Congo, assassiné seulement quelques mois après l’indépendance, avec la complicité de certains acteurs belges de l’époque.
Ces lieux publiques au nom de cet homme, c’est donner à l’Histoire un vent de fraîcheur et de justice, une autre manière de déboulonner les symboles.
Yves Alié / 17.06.20 / photo shutterstock