« Ma voiture, ma liberté ! » Vraiment ?

Chronique parue dans le numéro 154 du magazine
Imagine Demain le monde

Du 14 au 22 janvier se tiendra à Bruxelles le 100e Salon de l’Auto.
Grand messe de l’automobile, rendez-vous incontournable des amateurs de mécanique, de belles carrosseries ou pour y faire de bonnes affaires.

Les organisateurs espèrent 300 000 visiteurs.

C’est à la fin des années soixante qu’est né le slogan « Ma voiture, ma liberté ! »
50 ans plus tard, la propagande automobile nous ressert encore et toujours la même soupe, le même mantra, la même promesse, le même délire : toutes les pubs nous montrent des images de bagnoles évoluant sur des routes désertes, des voiries débarrassées de tout autre véhicule, de grands espaces, une nature verdoyante et ensoleillée avec toujours d’heureux propriétaires souriants, épanouis, dynamiques, le regard résolument tourné vers l’avenir, tourné sur leur petit monde bien cool sans nuage.

Si cette propagande fonctionne encore c’est bien parce que la voiture alimente toujours nos fantasmes, nos désirs de séduction, notre individualisme et en N°1 : le désir de puissance.

Et pourtant…
Avec près de 6 millions de voitures particulières, nos rêves de liberté se fracassent sur des routes totalement saturées.
Tellement encombrées que les heures que nous perdons dans les bouchons, coincés dans nos caisses, représentaient en 2021 un coût de près de 4,5 milliards d’euros (1,03% du PIB annuel). Puis il y a les voitures de société, plus de 25 % en 5 ans : 700.000 voitures au profit d’employés et de cadres, les mêmes qui font du télétravail. Vous avez dit lutte des classes ?

SUV et moi et moi…
En quelques années ce type de véhicule, beaucoup plus encombrant, s’est imposé sur nos routes et dans nos comportements.
42 % des immatriculations de véhicules neufs en 2020, un poids moyen de 1 600 kg contre 1360 pour les autres véhicules, et  « lors d’un accident unilatéral/impliquant seulement un véhicule, les occupants d’un SUV ont 24% plus de chance de survivre que ceux d’un autre type de voiture et que lors d’un accident entre une voiture et un SUV, l’occupant de la voiture a deux fois plus de risque de décéder suite à l’accident. »
La loi du plus fort, encore et toujours.

Et que dire de ces propriétaires de véhicule « à l’américaine », double cabine, véritables monstres de plusieurs tonnes, qui dans leur désir incommensurable de puissance se comportent comme des prédateurs, s’appropriant un espace public totalement inadapté à ces chars ?

Voiture électrique = voiture propre ?
Crise climatique oblige, le véhicule électrique s’impose comme LA solution anti CO2.
Si à l’utilisation le véhicule électrique ne produit pas de CO2, sa fabrication présente un bilan écologique bien éloigné du véhicule propre et vert que la propagande veut nous faire croire.

Electrique ou pas, nous continuerons à nous traîner au pas sur des routes toujours plus congestionnés (10 % d’augmentation jusqu’à 2030 selon le bureau fédéral du plan).

Comment sortir de cette impasse quand on connaît le poids des lobbys, qu’en Belgique le secteur automobile c’est 150 000 emplois directs et plus de 13 millions d’emplois directs et indirects en Europe ?

L’urgence et la raison ne nous commandent-elles pas de changer de cap en misant massivement sur les transports en commun ?
Des transports en commun de qualité, partout, tout le temps, disponibles 7/7, 24/24.

Evidemment, prendre le bus ou le train, c’est moins sexy, …
Evidemment, ce sera compliqué pour les milliers de personnes qui ont décidé de vivre dans des zones rurales, éloignées de leur lieu de travail, …
Evidemment, il faudra accepter de voyager avec des inconnus et partager un bien commun, …

Evidemment, il faudra revoir à la baisse nos fantasmes et nos désirs de puissance, …
Evidemment, il va falloir changer nos habitudes, penser autrement, transformer radicalement nos modes de fonctionnement.

Evidemment, sans réelle volonté politique ce sera compliqué, voire impossible.

300 000 visiteurs enthousiastes fouleront les moquettes du 100e Salon de l’Auto.
Comme si tout pouvait continuer comme avant, quand ma voiture était ma liberté.

Texte Yves Alié
Photo DepositPhotos

Partager :