Août 2020.
Cela fait plusieurs jours que la Belgique vit au ralenti, plombée par de fortes chaleurs et le bruit de fond anxiogène incessant du COVID19.
Samedi 8 août, la température crève tous les plafonds : 36°C
Le 8 août le plus chaud depuis les premiers relevés.
La canicule, encore, pour la 3e année consécutive.
Pour la 2e fois seulement de son histoire, l’IRM déclare l’alerte rouge. C’est sérieux.
La boule de feu Soleil écrase, brûle et assèche tout ce qui vit.
Si nous le pouvons, si nos activités professionnelles le permettent, nous nous planquons, c’est invivable.
Retirés dans nos murs, fenêtres et volets clos.
Plus de pluie depuis des semaines, la sécheresse s’ajoute à cette chaleur insupportable.
Tout est sec, aride, la vie se terre, se cache, se réfugie.
Pas un souffle de vent, nous sommes sans force, sans énergie.
Les médias balancent des conseils, toujours les mêmes, des évidences, parfois sous des expressions en anglais comme « cooling fresh » ou « night cooling ».
Rien de neuf, des trucs et astuces que mes grands-parents ardennais et hesbignons, nés à l’aube du XXe siècle, pratiquaient déjà mais en français…
Nous étouffons, pas tous au même degré si j’ose dire…, cette épreuve est vécue de différentes manières, selon nos conditions et lieux de vie.
Déjà, ici, nous ne sommes pas tous égaux.
On n’échappe pas à la chaleur, à l’absence du moindre souffle de vent.
On ne respire plus sous nos masques et dans cette « distanciation sociale » qui semble s’être définitivement imposée on ne vit plus.
Nous nous perdons dans les « gestes barrière », dans les avis et contre-avis des experts, dans tous ces chiffres et statistiques abscons.
Les nerfs sont mis à rude épreuve, à vif pour certains, pour certaines.
Le soleil cogne dur.
Il faut s’enfuir, s’échapper, partir, là, à la mer, où on nous dit qu’il y aurait une petite brise.
Et puis il y aura l’eau pour refroidir les corps gorgés de chaleur et les esprits surchauffés.
C’est comme une quête, un graal.
Les trains sont pris d’assaut.
Voyage masqué, dans la chaleur, encore.
La marée, elle est humaine.
Les flots c’est le Peuple qui n’en peut plus, qui n’a plus de patience, qui veut jouir, sans entrave, s’étourdir, oublier, s’oublier.
Des milliers et des milliers de corps nerveux viennent s’échouer sur des plages dont les surfaces réduites par les mesures sanitaires réduisent tristement les espaces.
Des milliers et des milliers de personnes qui s’entassent comme dans une galerie commerçante un 24 décembre.
Des emplacements.
Peut-on être libre dans un « emplacement » ?
Peut-on vraiment s’épanouir dans une zone de parcage, comme un troupeau canalisé ?
Peut-on vraiment être libre quand chaque pas doit être mesuré, calculé, appréhendé ?
Un Peuple entassé sur une micro portion de sable souillé.
Liberté surveillée, contrôlée, masquée.
Un Peuple sans autre horizon possible, cul-de-sac.
Et la mer qui s’en revient, la marée, vague après vague, grignotant le peu d’espace octroyé.
Tout se rétrécit, se contracte.
Respectez les règles !
Les frustrations contenues quelques heures ressurgissent.
On s’échauffe, on se bouscule, on se bat.
Une poignée de jeunes, très jeunes, 18 ans, des majeurs, des gamins majeurs.
Rébellion, face à face avec les flics, la colère monte et s’exprime dans des gestes agressifs.
L’impossibilité de communiquer autrement que par la colère.
Quel(s) parcours pour arriver, une fois de plus, à cette voie sans issue ?
Ma petite voix me chuchote encore la devise de Simenon : « Comprendre et ne pas juger ».
Je ne veux pas laisser faire mais je veux comprendre, pourquoi ? comment ?
Comment appliquer un remède si on ne connaît pas la cause ?
L’endroit où l’on naît détermine tout, ou presque.
La Mer du Nord, la Vlaams kust, de La Panne à Knokke-Heist, plus ou moins 66 km.
66 km de béton, d’immeubles tous plus laids les uns que les autres.
Urbanisme degré 0, rentabilité maximale pour parquer un maximum de touristes sur un minimum de surface.
Face à la mer des clapiers en béton, rien que du béton.
Nous avons eu droit aux interviews du bourgmestre de Knokke-Heist, Leopold Lippens, le comte Lippens, à la tête de la commune, de sa commune, depuis… 40 ans.
40 ans de pouvoir et de règne sans partage, comme un seigneur féodal.
C’est lui qui en 2016, à propos de la fermeture de la « jungle » de Calais propose, dans une interview à Sudpresse, de créer un camp « comme Guantanamo, mais sans les torturer. »
Et dans ce dossier de conflits d’intérêts, le comte va-t-il devoir rendre des comptes ?
Parce que je n’ai pas d’autre choix, que cela s’impose à moi, je mets dans la balance le comportement de ces quelques jeunes et la trajectoire du vieux seigneur.
Où est le bien, où est le mal ? et se souvenir de la formule de Jean de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, – Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. ».
Knokke-Heist, « mondaine, branchée et accueillante » comme on peut le lire sur le site de la commune.
C’est une évidence, le « touriste d’un jour » n’est pas très mondain.
Cela fait désordre, cela nuit aux commerces, à la bonne image de cette ville tranquille, « mondaine, branchée et accueillante ».
La plage, ces espaces de liberté, sont à bien d’endroits des espaces de « chasse gardée », où il faut afficher une certaine identité, pour ne pas dire une identité certaine.
Les classes, encore et toujours.
Et que dire de ces autres voix, pleine d’assurance elles aussi, qui affirment haut et fort qu’il faut se rendre à la Côte d’Opale ou en Zélande.
Ces voix peuvent-elles comprendre que tout le monde n’a pas nécessairement les moyens de s’y rendre ?
Et sans aucun préjugé mais avec lucidité, ces voix peuvent-elles percevoir que ces destinations correspondent peut-être aussi à un profil sociologique particulier, à un éveil, à une éducation, à un conditionnement ?
Ces voix mesurent-elles leur chance ?
Et puis, honnêtement, sans hypocrisie, ces voix ont-elles sincèrement envie d’être en compagnie de ce Peuple – les barakîs comme ils disent – tant décrié, tant méprisé, par ces mêmes voix qui donnent aujourd’hui des conseils d’esthète ?
Les classes, encore et toujours.
On n’y échappe pas, moi aussi, probablement.
Nous vivons une 3e année consécutive de canicule.
Un peu partout en Europe nos voisins vivent les mêmes conditions météorologiques.
De nombreux faits, ici et là, démontrent que le réchauffement climatique a bien lieu, qu’il ne peut plus être ignoré.
Ne détournons pas notre regard, ne fuyons pas.
Ici ou ailleurs, les épisodes de fuite vers les plages vont se reproduire, qu’on le veuille ou non.
Comme un dernier refuge, même momentané, comme un acte de survie.
Nous ne pourrons pas empêcher ces comportements.
Les digues sont faites pour combattre la mer.
Il ne faudrait pas construire de nouvelles formes de digues pour nous diviser et nous monter les uns contre les autres car chaque camp a ses barbares.
Yves Alié / 11.08.20
Photo : Unsplash / Remigiusz-wac-OkWo
Elle n’illustre pas Blankenberge, elle est symbolique.